Photo: Ahmed Zakot. Gaza, 9 octobre 2023
Des ruines, rien que des ruines. C’est ce qui est Gaza aujourd’hui. Il y a un an, une semaine et trois jours, Il y-en avait des villes, des quartiers, des villages, et des rues. Il y avait beaucoup de douleur et de souffrance, certes, résultant de plusieurs campagnes de bombardement israélien, et de 18 ans de blocus. Il y avait des patients qui mourraient de maladies curables, car ils et elles ne pouvaient pas sortir de Gaza pour se faire traiter médicalement. Il y avait des enfants qui consommaient de l’au contaminnée tous les jours, car l’occupation avait détruit les systèmes de traitement des eaux usées, et n’avait pas permit l’entrée des matérieux de réparation. Il y avait des hommes et des femmes dîplommés de 40 ans qui sortaient tous les matins chercher n’importe quel travail, même en ramassant des poubelles, pour rentrer le soir avec un sac de pain ou un litre de lait. Il y avait du désespoir et de la frustration qui poussaient beaucoup jusqu’au suicide, certains à l’age de dix ans.
Or, il y avait à Gaza une espace commune où deux millions de personnes perséveraient tous les jours pour y construire “une vie qui resemble à la vie”, selon un vers de Mahmoud Darwiche. Il y avait des foyers, humbles mais chaleureux, des places et des plages où l’on trouvaient l’ombre d’un arbre sous lequel il était possible de tisser des souvenirs. Au long de l’an dernier, et sous le regard d’un monde immobile, tout cela a été transformé en ruines. Rien que des ruines.
Photo: Mahmud Hams. Khan Younis, 24 octobre 2023
Nous n’imaginions pas cela il y a un an, lorse que nous regardions les scènes de l'effondrement d'un mur de fer -physique et métaphorique- que l’occupation avait érigé sur notre terre, mais aussi dans nos consciences. C’est un mur de terreur et de traumatismes hérités, depuis la fuite de nos grands-parents de leurs maisons, pieds-nus et sans horizon sous le feu des canons du “Palmach” en 1948, jusqu’aux géoles de torture de l’occupation au présent. Ce mur s’effondrait, et nous l’avons vu en directe, sous les pieds des gazaouis le 7 octobre de l’an dernier.
Certains d’entre eux, nous l’avons appris plus tard, ont traduit leurs sentiments de vengence en actions choquantes et inacceptables, comme il a toujours été le cas à chaque fois que des humains écrasés et brutalisés se révoltent, partout dans le monde au long de l’histoire. Rien de ce qui s’est passé le 7 octobre de l’an dernier ne peut être romantisé, car les révoltes des opprimés purement romantiques et politiquement correctes n’existent que dans les fims d’Holywood. Rien de ce qui s’est passé ce jour-là ne peut être diabolisé non plus, car les diables sous-humains qui attaquent les murs de la “civilisation” sans autre raison que leur “nature violente”, n’existent, eux non plus, que dans les films d’Holywood - et ils sont mystérieusement tous arabophones, bruns, et musulmans.
Ni nous, ni personne dans le monde ne pouvait anticiper ce que l’occupation aller faire. Nous n’imaginions pas qu’une campagne de destruction systématique de tous les fondements de la vie d’une société était en route, accompagnée de la tuerie en masse d’hommes, femmes, et enfants. Or, nous nous souvenons qu'après avoir compris la magnitude et l’effêt de ce qui commençait à se dérouler, nous avons conclus que le 7 octobre était le jour où l'on a commencé à voir les ruines de nos villes et maisons d’une manière plus claire. D’une manière différente.
Le lien entre la lutte palestinienne et toutes les luttes du monde
Pendant une année entière, ce qui pour nous était évident est devenu évident pour le monde. Dans les ruines de Gaza, le véritable visage du système mondial a été révélé. Ce système, construit sur la loi sauvage du plus fort, est désormais incapable de se cacher derrière sa fause image habituelle de civilisation. La tolérence par les et les principales puissances du monde du carnage meneé à Gaza, et dans beaucoup de cas leur soutien aussi, a sucité la colère de millions de personnes qui n’ont pas cessé de se manifester. Ceux sont des citoyen et citoyennes qui ne cessent pas de se mobiliser depuis un an pour protester contre un génocide mené avec leurs impôts, et soutenu en leurs noms. C’est ainsi qu’il est dévenu impossible, de manière réaliste, de nier le lien entre la lutte palestinienne et toutes les luttes du monde.
Au moment où l’occupation bombardait tous les établissements d’enseignement supérieur de Gaza, les étudiants de ce monde se rendaient compte qu’ils payaient eux-mêmes le prix du soutien de leurs universités et de leurs gouvernements à tous les types de génocide, même le génocide du savoir à Gaza. Les étudiants ont ainsi rejoint le mouvement de solidarité.
Photo: Ismael Abu Dayyah. 7 janvier 2024, hôpital Nasser à Khan Younis
Cette solidarité mondiale met en lumière aujourd’hui une dualité transfrontalière centrée sur la Palestine, qui ne peut plus être occultée. Depuis ses ruines et les corps de ses enfants, Gaza mène une transformation bien plus grande qu’elle-même, que la Palestine et même plus grande que la région. La confrontation qui se dessine aujourd’hui autour de Gaza n’est rien de moins qu’une confrontation existentielle entre un monde qui meurt et un autre qui veut naître.
La raison derrière cette polarisation mondiale de la question palestinienne est la même raison pour laquelle la Palestine est toujours colonisée, malgré la fin de la plupart des cas de colonialisme de peuplement dans le monde. Ni l'Afrique du Sud, ni l'Algérie, ni la Rhodésie ne sont situées au bord de la voie maritime par laquelle passe trente pour cent du pétrole mondial, et aucune d'entre elles ne divise les pays arabes, culturellement homogènes et riches en ressources, en deux moitiés. Le colonialisme de peuplement en Palestine reste, comme il l’était à ses débuts en tant que projet britannique, un pilier fondamental pour garantir la stabilité de l’ordre mondial actuel.
Le monde de l’après-guerre froide : le monde du « choc des civilisations »
Depuis les années 1990, le système capitaliste a rétabli son projet colonial et expansionniste dans le monde, idéologiquement, sur la doctrine du « choc des civilisations » formulée par le penseur américain Samuel Huntington, avec le soutien et la célébration du gouvernement américain. Cette nouvelle doctrine impérialiste divisait à l’époque les peuples du monde en identités culturelles en guerre.
Cette doctrine a été diffusée par les médias et une grande partie du monde universitaire occidental. Elle continue d’être un ingrédient principal dans l’enseignement des questions du monde arabe et musulman dans certaines grandes-écoles françaises, et autres instituts d’enseignement d’élite en occident.
La théorie du “choc des civilisations” a ouvert la voie à la création de prétextes pour envahir de nouveaux pays, créant des crises de réfugiés, puis incitant à la peur, puis justifiant la mobilisation des troupes pour de nouvelles guerres de conquête. Mais en ce qui concerne la Palestine, cette endoctrination systématique avait pour but d’approfondir son isolement, hâtant ainsi l’enterrement à jamais de sa cause.
Au milieu de tout cela, la Palestine a commencé à graver de ses ongles les raisons de la survie de sa cause, dans les roches d’une réalité arabe fragmentée et d’une réalité mondiale perdue. Depuis la fin de la deuxième Intifada en 2005 à la guerre de 2021. Les palestiniens ont mené un travail acharné pour construire des horizons de solidarité dans le monde entier, en partant d'une position de force, du droit, et de justice, et non d'une position de faiblesse ni de pitié. La Palestine résistait, et à chaque agression de l'occupation, qui était plus criminelle que la précédente, elle a mis en lumière la profonde dimension humaine de sa lutte, touchant les consciences des millions à travers le monde, brisant les limites imaginaires entre les civilisations, jusqu’à ce qu’il ne soit plus possible de l’ignorer.
Puis est arrivé le 7 octobre, obligeant l'occupation à abandonner tous ses masques et à déclencher son agression jusqu'à atteindre même le secrétaire général des Nations Unies, qui est soudainement devenu une “persona non grata” dans l’êtat occupant, après avoir été incapable d’ignorer les crimes de l’occupation dans ses interventions publiques.
Photo: Fatima Shbair. Rafah, 8 fevrier 2024
Pendant ce temps, les manifestations de solidarité se multiplient partout dans le monde, qui ne sont que les symptômes visibles d’une transformation profonde et de grandes dimensions. Elles n’obligent peut-être pas le conseil de sécurité international à adopter une résolution ordonnant un cessez-le-feu. Mais elles indiquent au moins que la polarisation mondiale autour de la question palestinienne unifie aujourd’hui les peuples de l’est à l’ouest, les opposant tous à leurs gouvernements et à leurs États. Non pas uniquement pour le bien de la Palestine, mais pour le bien des valeurs humaines qui n’ont aucune considération dans le monde actuel. En d’autres termes : pour un autre monde, différent.
L’occupation tremble et avec elle, tremble un ordre mondial qui voit ses fondations, tant militaires qu’idéologiques s’éroder. Ce système mondial touche ses limites à une époque où l’humanité n’est plus en mesure de supporter les conséquences de ses crises économiques, et alors où elle cherche des alternatives, au moins pour sortir de la dictature du dollar. Et c’est parce qu’il sent sa fin proche, et parce qu’il voit ses multiples masques de mensonges se dissoudre, ce système mondial cherche à transformer tout ce qu’il voit, et tout ce qu’il touche en ruines.
Alors que Gaza cherche parmi les tas de ses ruines les corps de ses enfants, elle se trouve en même temps au centre du processus de cristallisation d'une nouvelle réalité dans le monde entier. Une réalité sans colonialisme, sans empires, et sans guerres, plus juste et plus humaine pour tous les peuples. Et alors qu’elle compte ses blessures, elle rend plus clair que jamais que « Les ruines ne nous font pas peur, car nous portons un monde nouveau dans nos cœurs, et ce monde-là ne cesse de croître en ce moment. »
Dans notre prochaine newsletter, qui sera envoyée le 20 octobre 2024, vous pourrez lire:
- Témoignages de Gaza sur un an de génocide.
- Rifaat al-Arir: Les dernières paroles d’un poète de Gaza.
- Ghassan Kanafani et la lettre de Gaza qui n’est pas encore arrivée.